Today. ft. Sun Dae

 

Bientôt noël, hein ? Je n'avais jamais aussi peu eu envie de fêter ça que depuis ce qui s'était passé, le week-end dernier. Déconcentré, déphasé, dépité. Un tas de mots avec des Dés, pour parler de l'état dans lequel je me trouvais, mais ce n'était visiblement pas la bonne pioche que j'avais tiré. Il fallait que j'en parle à quelqu'un, de ça... sinon, j'allais finir par devenir dingue... les souvenirs tournaient en boucle dans ma tête, comme une machine à laquelle on aurait oublié d'ajouter la fonction « off » et je ne savais pas comment les faire taire. Difficile de faire face à ma famille, après ce qui était arrivé. Difficile de mentir, je n'aimais pas ça. Et pourtant, il le fallait, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qu'elle penserait de moi, après ? Et si on divorçait ? Et si elle essayait de me prendre la garde des enfants ? Et si je me retrouvais seul ? Et si, j'avais juste fais la pire connerie de ma vie sur un coup de tête ?

Si je gardais tout ça à l'intérieur trop longtemps... ça allait mal se terminer.

C'est donc avec quatre heures de sommeil à mon compteur, suite à une nuit blanche, que je me présentais devant chez mon frère, sans même avoir vraiment pris le temps de le prévenir de mon arrivée. Capuchon sur la tête, ma tignasse toujours aussi broussailleuse à moitié devant les yeux, le tout bien souligné par des cernes impossibles à cacher. Son gosse était à l'école et lui, je savais qu'il n'avait pas de projets sur son planning, cet après-midi... il avait intérêt à être là... j'avais besoin de lui. Trois coups donnés contre la porte, puis je m'appuyais contre le cadre, en attendant, sans vraiment en avoir la patience. « Dae-ah... » Allez, ouvre.

Une journée traaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaanquille. Boudiou, ça fait un bien fou. Je me tortille dans le bain chaud et soupire d’aise en attrapant mon ipad soigneusement mis dans une housse étanche, parce que je me connais, il va finir dans la flotte ce con hein. Verre de vin blanc posé sur le bord de la baignoire et mes pieds qui dépassent parce que je suis trop grand, je souris comme un dindon et lance les hostilités pour regarder ENFIN le dernier star wars un peu, beaucoup piraté. C’est pas bien, je sais, mais je l’ai pas téléchargé moi-même. On me l’a donné. J’ai pas le temps d’aller au ciné, même si je voudrai. Bref, content et ronronnant, je me plonge dans le début du film jusqu’à entendre frapper. « Mweo ?? » Coupant le film, je passe sur l’appli de la caméra de sécurité et vois Jiho à la porte comme un chien malheureux. Couinant, je me rince, enfile en vitesse un boxer avec un jogging et un pull trop large et pars lui ouvrir. « Sorry, j’étais dans le bain. » Puis, je le fais entrer et pars à la cuisine avec lui pour commencer à préparer un cappuccino pour lui, un chocolat chaud pour moi. « T’as une gueule de zombie… Il se passe quoi ?? » Rapidement, je m’installe devant lui, inquiet.

Il faisait la sieste, peut-être ? Non, mais non, c'était peut-être égoïste de ma part, là, mais je ne voulais pas qu'il dorme ! Jouant avec impatience du pied contre le sol, je finis par me détacher de la porte et fis quelques aller-retour dans le couloir, jusqu'à ce qu'enfin, quelqu'un vienne m'ouvrir. D'instinct, je pénétrais alors dans l'appartement, comme s'il s'agissait de mon propre repère à l'abri du monde extérieur, suivant mon cadet jusqu'à la cuisine où je partis m'affaler sur le bar, telle une vraie larve, la tête posée sur mes bras croisés. Soupir. Heureusement, il y avait le bruit de la machine à café pour me réveiller le cerveau et l'odeur pour venir titiller mes narines. Ce n'était pas tellement dans mes habitudes, d'être abattu de la sorte, même si j'avais tendance à enchainer les pics d'énergie avec les moments où mes batteries étaient à plat, mais là, il n'y avait rien de satisfaisant pour décrire l'état dans lequel je me trouvais, à l'intérieur de mon esprit. « Y'a tout qui est en train de se barrer en couilles... » Avouais-je dans un souffle pénible, tout en tirant mon capuchon en arrière. « Je suis en train de tout foutre en l'air, Sunny. » Evidemment, je n'étais pas clair et il allait avoir du mal à comprendre quoi que ce soit, mais pourtant, mon regard vint se planter dans le sien, comme s'il pouvait deviner ce qu'il y avait dans ma tête en ce moment.

« Y'a tout qui est en train de se barrer en couilles... » Je le fixe intensément alors qu’il est en train de retirer sa capuche pour que je vois mieux sa tête. Mais mon réflexe à moi, c’est de tendre les bras pour pousser sa mèche et dégager son regard. J’ai besoin de les voir, ses yeux. « Je suis en train de tout foutre en l'air, Sunny. » Fronçant un peu le nez parce qu’il est complètement vague dans ses propos, je le fixe alors intensément, jusqu’à remarquer un petit bleu dans le creux de son cou, vers l’omoplate. « Omomomomomomomooooo… T’as trompé Meili ??? » Je le regarde alors intensément, à la fois pris d’une grande passion comme si je regardais le meilleur des films et en même temps, dans une grande compassion face à sa misère. « Mais si c’était que du sexe, tu serais pas aussi mal hein. Parce que les erreurs, ça arrive. On le sait toi et moi… » Tête sur le côté, comme un chiot, comme toujours, je lui prends la main. « Raconte. »

Woh, woh, woh, qu'est-ce que tu regardes, comme ça ?! Je resserrais vite mon pull autour de mon cou, dès qu'il commença à s'exclamer et grognais d'un air las, tel un vieux mâle alpha ayant déjà perdu son territoire depuis longtemps, mais continuant de se la jouer dangereux, sans pour autant convaincre personne. L'entendre dire ça, c'était douloureux, parce que c'était ni plus ni moins que la vérité... or, la vérité, je n'étais pas certain de vouloir y faire face tout de suite. Puis, il enchaina. Sa perspicacité m'étonnerait toujours... il me connaissait définitivement trop bien, hein ? Enfin, non, il avait toujours été comme ça et ce, avec tout le monde. C'était peut-être pas une flèche pour certaines choses, mais alors dans d'autres domaines, on ne pouvait pas le battre. Raison pour laquelle, je ne voulais pas le voir. Et pour laquelle, je voulais quand même le voir. Il me forcerait à parler... et si je ne parlais pas, alors, il le ferait à ma place, puis, mes mimiques confirmeraient ses assomptions les unes après les autres. « Je peux avoir mon café avant ? Tu peux mettre de l'alcool dedans ? »

J’adore voir sa tête quand j’arrive parler à sa place. Aish, on se connaît vraiment trop bien. Je sais même dire quand il est constipé. Je sais pas. On a beau avoir aucun lien de sang, j’ai l’impression d’avoir un jumeau lorsque je suis en face de lui. Alors c’est facile. Et puis, un jour sa mère m’a dit que je n’étais peut-être pas un génie scolairement parlant, mais que j’avais un don pour observer les gens et les comprendre. De l’empathie. C’est sans doute ce qui m’aide à jouer aussi bien. Devenir mes personnages et vivre leurs émotions, c’est facile. Je les imagine comme des fantômes incapables de s’exprimer autrement que par moi et je deviens eux. « Je peux avoir mon café avant ? Tu peux mettre de l'alcool dedans ? » « Mouais… » Je me redresse et fous du rhum dans nos boissons avant de me remettre en face de lui. « T’as l’air tellement grave. C’est pas comme si tu l’avais trompé avec un homme ! » Fin, pour moi, c’est pas grave. Les gens devraient pouvoir aimer qui ils veulent. Mais lui, je pense que ça le dérange un peu… Mais vu sa gueule à cet instant T, je manque de cracher mon chocolat. « Oh boy… c’était avec un mec ??? » Je le regarde alors intensément. « c’est pas grave tu sais… au fond, homme ou femme, on est des êtres humains et rien de plus… C’est pas grave. »

Mouais, met-en quand même. Ca, c'était un gentil frère, à bien vouloir partager ma peine en me suivant avec le rhum. Sans mot dire, je tirais donc la tasse vers moi, après avoir trinqué, puis bus une grande gorgée... avant de manquer de m'étouffer. Pas comme si je l'avais trompée avec un homme... pas comme si je... mais Dae. Comment tu faisais pour avoir le chic de mettre le doigt sur les choses, sans même t'en rendre compte. Voila que mon visage venait de perdre un peu plus de ses couleurs déjà bien ternies... « Shhhhht... » Répliquais-je, comme si ça pourrait tout faire disparaître. La conversation, tout comme la réalité. Comment vivre avec ça dans le coeur, au juste ? « Pas grave ? Je, je, je suis le connard que j'aimerais pas que mes filles rencontrent dans leur vie, comment je suis censé montrer l'exemple de quoi que ce soit, maintenant ?! » Et je replongeais finalement la tête sur ma tasse pour m'y brûler à moitié la langue, mais tant pis. À vrai dire, j'attendais juste de pouvoir la terminer, pour me resservir de l'alcool au plus vite. « J'ai le double de son âge, Dae. » Et pourtant, ça m'a chamboulé.

« HOLLY SHIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIT ! » Je sautille sur ma chaise, excité comme un puceau devant un film porno tout d’un coup. Enfin non, j’ai pas d’érection. Mais fin… Non.. Comme un enfant devant ses cadeaux de Noël ?? C’est aussi bizarre… BREF ! Cette conversation me met en émoi dans mon kokoro. Je fixe alors Ji inteeeeeeeeensément, parce que surtout, je vois comme ça le rend malheureux. « S… salaud ?? » Haussant un sourcil, je le fixe avant de les froncer, pas vraiment content de la façon dont il se parle de lui-même. « T’as jamais fantasmé sur quelqu’un de plus vieux toi ? Moi si. Et à chaque fois je me disais : L’âge, on s’en fout. Alors pourquoi là, c’est un souci ? » Je claque ma langue sur le palais en prenant une bitch face avant de soupirer un peu, puis de le regarder en allant chercher le rhum pour nous en remettre dans nos boissons même si elles sont pas finies. Je sais de quoi il a besoin lui. « Ji… C’était que du sexe ou t’as ressenti un vrai truc fort ? » Et quand il me regarde, je comprends déjà la réponse. « Alors où… Où est-ce que tu es un salaud ? Où ? » Je continue de l’observer et serre sa main. « Le suicide récent de Jonghyun me dit… me dit qu’on peut pas se blâmer pour les sentiments qu’on a. Si on a des actions profondément méchantes, alors oui, on est un salaud. Un pur connard même. Mais Ji… pourquoi blâmer des sentiments ? Tu veux apprendre quoi à tes filles ? Qu’il vaut mieux souffrir en silence et taire ce qu’on a dans le cœur pour… faussement épargner les autres et continuer de bien passer en société ou être soi ? » Je tiens encore sa main. « Jihun me voit pleurer tu sais. Quand son absence est trop forte parfois. Comme… Comme lorsqu’arrive notre anniversaire de mariage, le sien ou celui de Hunie… Je pleure comme un gosse et il vient m’enlacer en me disant des belles choses. Je m’en voulais au début de craquer devant lui comme ça et puis j’ai compris que ça l’aidait aussi lui, à extérioriser ses sentiments au lieu d’être une cocotte-minute. Ça vient d’arriver, c’est embrouillé, mais si tu te rends compte qu’il te manque vraiment, tu vas faire quoi ? Ravaler ça en comptant sur l’alcool pour oublier ? Ji… j’t’en prie… C’est… voué à l’échec ce genre d’idées et tu le sais. De plus, plus tu vas l’ignorer, plus tu risques de… Le faire ressortir de façon aigrie contre ceux que tu aimes sans même le vouloir ! » Je bois encore et grimace. « Oh bordel. J’en ai mis trop… »

J'étais têtu, borné, difficile à gérer à mes heures et ça, je voudrais bien l'avouer à n'importe qui. Pourtant, pourtant et malgré la réaction première de Sunny, qui semblait bien trop s'exciter à mon goût, ce qui avait tendance à renforcer mon malaise, me renfrogner et me faire gronder comme un chien de garde, j'étais venu dans l'optique de déballer mon sac, puis d'accepter les retours. Là, tout de suite, un peu de guidance allait être nécessaire... surtout après les événements de la semaine. À la SM, nous avions tous été chamboulés et même si de base, j'avais une bonne capacité à gérer mes émotions, un suicide n'était jamais simple à avaler. Et Dae qui posait ça sur la table. Comme ça. Comme un cheveu sur la soupe. Ma gorge, elle, se resserra aussitôt, tout comme ma main autour de la tasse, en repensant à ce que j'avais vu aux funérailles. « Tu vois pas le problème ?! » Dans un éclat, je repoussais violemment sa main et me redressais, tremblant, le corps tendu jusqu'au bout des orteils. Ce qu'il restait de fierté à un coréen. « Le mariage, c'est des promesses ! Et j'ai trahi ça ! Comment tu peux le prendre autant à la légère ?! Qu'est-ce que t'en sais, bordel ?! » Sentiments ou pas, j'avais trahi quelqu'un, j'allais blesser Mei et... et passer pour quoi ? Et aux yeux de la société ? Et de moi-même ? Non, non... ça commençait à me rendre un peu fou, d'y penser... si bien qu'au bout du compte, tout ce que je trouvais à faire face à ces centaines de mots sages que mon frère enchainait les uns après les autres, fut de m'agripper les cheveux pour hurler un coup. À la fois pour ne plus l'entendre, et puis aussi, parce que je m'étais tus jusqu'à maintenant. Après le départ de Noah pour son pays dont il ne reviendrait pas, après le retour à la maison, après la reprise du travail, après l'enterrement. Être pris de court, être submergé, ce n'était pas moi. Pourtant, cet après-midi là, je finis par soudainement m'effondrer en larmes, tout en me détestant de ne pas trouver le moyen de le gérer, ça aussi. Finalement, dans la vie... on ne pouvait pas contrôler grand chose et j'étais en train d'en prendre conscience... après quarante ans.

Je le regarde me repousser, je l’écoute se mettre à me crier dessus et je ne bouge pas alors que lui, semble être au bord du craquement. Oui, le mariage... C’est des promesses. On se promet de s’aimer jusqu’à la mort, on se promet de se chérir, de s’aider, de s’être fidèle. On en fait… des promesses, mais la vérité, c’est qu’on est incapable de les tenir. Moi. Moi, j’aime au-delà de la mort et c’est ce qui fait un gouffre en moi. S’aimer jusqu’à ce que la mort nous sépare et être libérés ensuite, est-ce vraiment possible ? Et rester fidèle ? Est-ce qu’un cœur marié ne peut vraiment pas aimer quelqu’un d’autre ? Alors, je ne bouge pas et je le regarde se mettre à hurler et exploser… Je le regarde faire. Puis, doucement, je me lève et prends mon courage en main pour le gifler afin de le remettre dans la réalité. « Je prends pas ça à la légère. Hyung… » Et je n’utilise ce mot que lorsque je suis sérieux avec lui. « J’essaie d’être le père que mon fils voudrait avoir. Un père compréhensif. Si une des petites vient te voir et te raconte un récit similaire, tu lui diras qu’elle est une salope ?? Tu la laisseras se dénigrer et se faire du mal ?? Jonghyun s’est tué parce qu’il avait peur de notre société… T’as exactement les mêmes pensées. J’étais là avec toi pour l’enterrement et j’ai vu des gens… des dizaines, des centaines de gens qui regrettaient. Si nous… Si nous, on se sert pas de qui on est, du don qu’on a pour faire passer des messages, on sert à quoi ? A qui ? Son ultime effort… pour nous montrer à quel point les gens vont mal dans ce genre de moment a été de se tuer. Mais ça doit pas être en vain. Ça doit mettre la lumière sur ce qui va mal dans notre monde. Alors oui, je le redis, t’es pas tombé pour un homme, t’es tombé pour un être humain. Si c’était pas quelqu’un de bien, il aurait pas bouleversé ton cœur, et tu serais pas comme ça maintenant… Jiho… Arrête de te détester… C’est… C’est nous qui devons… apporter le changement qu’on veut voir. Je sais que ça fera mal… Mais pas autant que… Le bien qu’on peut apporter. Et tu seras jamais seul quoi qu’il arrive. Tu seras jamais seul si tu restes avec Meili, tu seras jamais seul si tu veux le revoir. Tu le seras pas. T’es venu ici, c’était pour parler, hurler, entendre ce que j’ai à te dire, et ce que j’ai à te raconter, c’est ça… C’est ça et pas autre chose Hyung… »